L'Humanité - 11 Septembre 2003

Fête de l'Humanité Les " Jedis " à fond dans la Fête Dionysos

Grande scène. Groupe scénique par excellence, les cinq musiciens de Dionysos s'apprêtent à mettre le feu. À coups de rock déglingué.

Le moteur de leur musique s'appelle l'énergie. Dionysos sur scène, c'est de la bombe. Un spectacle qui relève du show total emmené par Mathias Malzieu, un chanteur délirant, qui, à chaque prestation donne le meilleur, se jetant parfois dans la foule. Dionysos, ce sont cinq musiciens qui s'amusent à écumer les scènes de France à coups de chansons rock diablement fortifiantes. Au moment de la sortie de Western sous la neige, son dernier album, le combo de Valence était loin de se douter d'un tel succès. Un an et demi et une centaine de concerts plus tard, il arrive à la Fête avec une grosse envie de faire partager son trop plein de vitalité. Dionysos c'est de l'agit-prop d'un rock en état d'urgence dans lequel se reconnaissent des milliers de jeunes, friands de leur univers où la pop et le cinéma font bon ménage. À l'image de Song for Jedi, tube qui emprunte autant au 7e art qu'aux contes de fées, que l'on retrouvera dans le live de deux CD, " un électrique et un acoustique ", qui sortira prochainement. Groupe de scène par excellence, Dionysos a donné 450 concerts en quelques années d'une carrière menée sur les chapeaux de roue : " Une folie passionnante ", raconte Mathias Malzieu, qui avoue être sacrément " fier " d'être au rendez-vous de la Fête de l'Huma.

Est-ce humainement supportable de tourner autant ?

Mathias Malzieu. Ça resserre vraiment les liens. On vit tellement de choses fortes que cela rend solidaire, avec un petit côté petite tribu qui part sur la route. Nous sommes super heureux de cette aventure artistique et humaine. Après, il est clair qu'il faut savoir s'arrêter, savoir s'oxygéner et revenir à une fraîcheur physique et émotionnelle pour continuer à se mettre en danger, prendre des risques artistiquement, refaire des choses nouvelles.

Comment faites-vous pour être aussi énergiques sur scène ?

Mathias Malzieu. L'idée, c'est de se transcender. Nous partons du principe que c'est un privilège de s'exprimer librement sur scène. On s'est rendu compte de la jubilation que ça pouvait apporter, et de la dose de liberté énorme que ça procure. Avec Western sous la neige, on s'aperçoit qu'il y a une effervescence de la part des gens qui s'approprient l'univers. Quand en plus, ils nous renvoient leur énergie, on a envie d'une seule chose, de la leur rendre. Être sur scène, c'est échanger des ondes, des vibrations, de la complicité. C'est une chose hyper importante pour nous. Chaque soir, on essaie que ces instants de complicité et de magie soient là. Ça nous donne une énergie qui n'a pas de limite.

Est-ce le caractère politique de la Fête ajouté à l'idée que l'on se fait de se produire dans un tel endroit ?

Mathias Malzieu. Pour nous, ça ne change pas grand-chose dans la mesure où politiquement, quand on aborde un concert, tout ce dont on vient de parler, c'est politique déjà. Le fait d'être libres, d'essayer de donner et d'être curieux, de soi et des autres, c'est du politique artistique. Nous allons défendre ça au mieux. En revanche, on est extrêmement fiers de jouer à la Fête de l'Huma pour ce que ça représente. C'est un événement particulier. On va essayer d'être le plus spontanés, le plus sincères possible pour faire honneur à cette invitation.

Pourquoi êtes-vous fiers précisément ?

Mathias Malzieu. Parce qu'en ce moment, par rapport à ce que nous défendons, de manière politique plus directe, nous nous retrouvons dans les combats que défend cet événement. Que ce soit la guerre en Irak, les intermittents ou l'altermondialisme, ce sont des luttes avec lesquelles nous sommes exactement d'accords. On se sent bien de faire partie de cet événement à ce niveau-là.

Comment appréciez-vous la lutte des intermittents ?

Mathias Malzieu. Non seulement, on est solidaires, mais nous sommes intermittents. Nous avons essayé, humblement, de faire porter notre voix sur des festivals comme les Eurockéennes, sur le problème du statut des intermittents. Après, il y a eu le débat sur les annulations de festivals qui était compliqué. D'un côté, on empêchait les intermittents de travailler, d'un autre côté, c'était un moyen de pression. En ce qui concerne la grève, moi, en aucune mesure, sur aucun événement, je ne blâmerai les intermittents. Leur colère est à 100 % justifiée. Il est clair qu'on aimerait toujours que ça se passe différemment, davantage dans la discussion. S'il fallait évidemment réformer le statut, il ne fallait pas le faire en taillant par le bas. J'espère qu'on va, d'une manière ou d'une autre, avoir gain de cause là-dessus.

Comment vous apparaît l'attitude du gouvernement ?

Mathias Malzieu. C'est un mélange entre frustration, colère et une espèce de tristesse. On a l'impression que c'est un mur et que rien ne revient. La première fois que j'ai ressenti cela, c'est au moment des présidentielles, quand j'ai vu apparaître la tête de Le Pen et de Chirac à la télévision. J'ai eu froid dans le dos. Depuis cet événement, cela n'a fait que confirmer les craintes qu'on avait tous. Personnellement, j'ai l'impression que ça va quand même s'ouvrir. Le problème des intermittents n'est pas seulement celui des intermittents, mais un problème de défendre la culture ou pas.

Ne devrait-on pas s'interroger sur la place de la culture dans la société ?

Mathias Malzieu. Absolument. Les gens voient le problème des intermittents comme un petit métier qui défend tant que bien mal son gagne-pain. Le débat va bien au-delà. C'est décider si la culture " alternative " - ce qui ne veut pas dire des choses marginales, a une place ou non dans le pays. En transformant les intermittents en érémistes, on met des battons dans les roues des jeunes groupes. Ce statut nous a aidé au début, quand nous étions étudiants. Il continue de nous aider et nous ne sommes pas les moins biens lotis étant donné que nous avons un parcours. Dans les salles, les organisateurs vont avoir de plus en plus de mal à programmer des artistes qui n'attirent pas du monde : ils ne prendront pas de risques, car ça coûtera super cher de les faire jouer, de monter les sonos, etc. À mon avis, ça doit être pareil dans le théâtre. Cela risque de rendre le spectacle vivant plus élitiste parce que toutes les places vont être plus chères. Les artistes, qui débutent leur carrière, vont être beaucoup plus difficiles à programmer avec cette mesure. Aujourd'hui, on a l'impression que l'avenir se bouche, au niveau éducation, culture, toutes les portes se ferment. Tout ce que qui est nouveau, créatif, ludique, et humain, passe au second plan.

Paradoxalement, vos chansons ne sont pas très revendicatives...

Mathias Malzieu. Nous sommes toujours partis de l'idée de faire les choses comme on les sentait. Je me suis toujours senti proche d'un engagement artistique. Peut-être que cela va changer. Avec tout ce qui nous arrive, certains textes peuvent prendre une autre tournure. Pour nous, afin de ne pas galvauder un engagement politique, l'important artistiquement, est que l'on puisse être complètement vrais. Avoir un parti pris poétique fort, est totalement proche d'un engagement politique.

Que vous inspire le recul du marché français de l'industrie du disque qui enregistre une baisse de 10 % des ventes d'albums. À quoi attribuez-vous ces difficultés ?

Mathias Malzieu. Les disques sont trop chers. J'espère que les politiques vont faire ce qu'ils ont promis depuis longtemps - qui serait enfin une bonne chose de la part du gouvernement - passer la TVA à 5,5 % sur le disque. Le vrai problème, c'est le prix. Évidemment, le piratage fait perdre des ventes, mais en même temps, je ne suis pas trop un partisan de la lutte contre ce phénomène. Parce que les gens qui gravent beaucoup sur Internet, sont des gens passionnés de musique, qui ne veulent pas acheter de disques, mais ce sont avant tout des curieux, des explorateurs. Des gens qui aiment découvrir et faire découvrir la musique. Certains, par le biais d'Internet, peuvent avoir envie de venir à nos concerts. L'autre problème, est que l'objet disque n'est pas beau. À l'époque du vinyle, il était culte. Donc les gens ont plutôt intérêt à aller sur Internet. Le danger est que les albums disparaissent et que la musique soit juste disponible sur le net. Moi, j'aime l'idée d'objet, l'idée d'acheter un livre ou un disque pour m'approprier son univers. C'est pourquoi, il est super important de fabriquer de beaux objets qui ont un intérêt visuel. Pour le consommateur, il faut que ce soit une expérience spéciale d'acheter un disque, que ça ne soit pas identique à en graver un, en plus cher.

Un message au public de la Fête ?

Mathias Malzieu. Venez en profiter au maximum. La Fête est un bel événement artistique et démocratique. Venez vous informer, parler, communiquer, venez profiter à fond des concerts. C'est un espace de liberté un lieu comme celui là. Même si l'époque est noire foncée. On disait tout à l'heure que beaucoup de choses se bouchent. Là, il y a quelque chose d'humain, qu'on n'est pas arrivé à boucher. Si on a envie que ça dure, jetons-nous dedans !

Entretien réalisé par Victor Hache