DIONYSIAQUE
Sur la lancée de leur tube
Song for Jedi, les trublions de Dionysos retrouvent leur lieu
de prédilection : la scène. Mais en acoustique cette
fois, sans cette électricité turbulente et voltigeuse
qui fait du groupe de Mathias Malzieu l'une des plus excitantes raisons
d'écouter du rock français. Nouveau défi, nouveau
pari pour ce groupe abonné au danger.
Mathias Malzieu, chanteur et pois sauteur
de Dionysos, n'est qu'un menteur. Sur le voltigeur Coccinelle,
un des hymnes de son groupe, on peut ainsi l'entendre vociférer
: " Je ne sais pas conduire, pas même un cerf-volant "
Il se déplace pourtant, flâneur rêveur, en quatre
roues motrices, dans les ruelles piétonnes de Toulouse, nouvelle
étape après Valence, puis Paris. Quatre roues motrices,
suivant l'état de la cheville : Mathias ne se déplace
qu'en skate-board, en longboard plus précisément - la
planche des paresseux militants, grande classe. Ceux qui l'ont vu
slalomer du côté de la place Wilson confirment : à
la ville comme à la scène, Mathias Malzieu est un danger
public.
Danger. Public. Les deux mots vont très bien à Mathias,
qui a régulièrement payé de son corps, affronté
des dangers absurdes (escalader des montagnes de haut-parleurs, plonger
dans la foule exaltée) pour communier avec le public. Danger.
Public. C'est en public que, dès la semaine prochaine, Dionysos
affrontera son prochain danger, son nouveau défi : une tournée
acoustique particulièrement culottée de la part d'un
groupe réputé pour son électricité débraillée
et son énergie généreuse. " Dionysos ? Le
meilleur groupe que nous ayons vu sur scène depuis des années.
" Le compliment vient d'Angleterre, éloge suffisamment
rare pour être signalé. Les garçons d'Archive,
qui on eu le malheur de partager la même affiche d'un festival
d'été, sont revenus de France estomaqués par
l'énergie, l'élégance, la malice et l'impertinence
du groupe.
L'impertinence
La première fois que l'on a entendu Dionysos,
avec le mini-album The Sun Is Blue Like The Eggs In The Winter
en 98, c'était justement à l'occasion d'une reprise
de Fais pas ci
de Dutronc. On ignorait alors à quel point
cet hymne à l'indiscipline et aux sensations représentait
pour le groupe et son leader Mathias Malzieu une déclaration
de foi, sur laquelle Dionysos allait bâtir sa carrière
: turbulente, sauvage, et tendre comme l'enfance.
Entretien > Mathias Malzieu
- Nous avons commencé il y a dix ans, avec les amplis posés
sur les chaises
Pendant cinq ans, nous ne sommes pas sortis de
notre local de répétition. Chaque samedi était
consacré à nos répétitions
On en
ressortait vidés. C'était le prix à payer pour
alimenter les rêves. Nous formons une tribu, une famille bizarre,
nous traversons ensemble les doutes, l'euphorie, la mélancolie,
les frustrations. Il faut vraiment s'aimer pour mélanger tout
ça dans la carlingue d'un petit camion jaune.
Chaque concert est une performance
: est-ce raisonnable ?
C'est un tel privilège de pouvoir, chaque soir, ressentir de
telles poussées d'adrénaline que je ne peux pas me permettre
de prendre les concerts à la légère. Avant les
concerts, nous nous concentrons d'ailleurs avec des rites précis
: il faut qu'à chaque fois, nous montions sur scène
avec l'impression que ça peut être la dernière.
Ou la première. C'est le seul moyen de protéger cette
magie. On ne peut pas commander, simuler, " routiniser "
des sensations aussi puissantes. Il faut donc beaucoup donner de soi,
se transcender.
Es-tu parfois allé trop loin
?
A chaque concert. Quand nous jouons en salle, je frise l'asphyxie
: l'impression qu'un dragon pousse dans mes poumons et que je vais
vomir du feu. J'ai failli casser ma voix l'été dernier,
je dois donc maintenant la chauffer, la préparer. Ma prof de
chant m'a alors dit : " Le stress que tu ressens est un poison.
Mais tu es a besoin. " Trop de ce poison aurait fini par me détruire
; trop peu, et j'aurais connu la peur, l'incapacité de monter
sur scène. Quand je laisse le poison diriger, je me fais mal
: comme la fois où je me suis détruit la cheville et
les ligaments après avoir sauté d'une balustrade vers
la scène
Vous payiez déjà autant
de vos personnes quand jouiez devant quarante personnes ?
Dès les premières répétitions, dans notre
local de Valence, nous étions à fond : c'était
notre manière d'exprimer cette énergie, cette jubilation.
Mais il y a toujours eu, dans cette furia punk-rock, des moments plus
calmes. C'est pourquoi, ce mois-ci, nous prenons le risque de tourner
en acoustique dans des salles où le public sera assis
Je suis aussi excité ç l'idée de chanté
accompagné d'un demie-glockenspiel et d'une guitare sèche
que par un groupe saturé, chaotique. J'ai un besoin viscéral
des deux. Chez nous, les deux facettes se sont accentuées au
fil des ans. Je me souviens, en pleine période où je
n'écoutais que Sonic Youth et Pixies, avoir acheté une
vidéo de Jacques Brel pour le Noël de mon père
J'ai pris une claque : " Ce type est aussi dangereux que Sonic
Youth ! "
Avez-vous privilégié
la scène au détriment des disques ?
Sur le dernier album, Western sous la neige, nous voulions
que le groupe des disques soit exactement le même que celui
de la scène. C'est pourquoi nous l'avons fait produire à
Chicago par Steve Albini, car nous savions qu'il allait respecter
ce côté " live " : dix-huit morceaux enregistrés
et produits en quinze jours
Nos premiers disques avaient été
faits comme ça : à l'arrache, avec deux bouts de ficelle,
on adore cette sensation. Sur notre premier album pour une major,
Haïku, nous avions découvert les grands studios,
cette possibilité de tout séparer, nettoyer, échantillonner.
Deux semaines après sa sortie, on savait déjà
que c'était une fausse route. On vient trop de la matière
: on a besoin d'être ensemble pour qu'il se passe un truc.
La musique ne s'envisage donc jamais
pour toi en solo ?
Jamais. J'ai toujours détesté ces musiciens qui pleurnichent
: " Ouais, je joue cette musique avec le groupe, mais j'ai chez
moi des chansons folk que je garde pour mon projet solo. " Même
si c'est dur, parfois, de tout donner au groupe, de se mettre à
nu, je veux tout partager. J'écris tous les textes, toutes
les compos et pourtant, Dionysos est un vrai groupe : un morceau folk
composé en 4-pistes chez moi peut totalement dévier,
sortir de son lit. Et le résultat est alors beaucoup plus excitant.
La fois où je me suis pointé en répétition
avec Ciel en sauce, mon premier morceau en français,
j'étais mort de trouille, de gêne. Brel et Dominique
A avaient alors travaillé Sonic Youth dans ma tête et
pourtant j'étais incapable de défendre ça seul.
J'adore ces moments où le groupe s'approprie mes idées.
Vous avez énormément
donné, sacrifié pour Dionysos. Qu'est-ce qui vous a
donné cette foi au départ ?
On ne connaissait rien : on ne savait pas ce qu'était un studio,
une tournée, une maison de disques, une maquette
Notre
seule certitude, c'était que nous aimions les Pixies, Noir
Désir, Nirvana. Je revenais de vacances au pays de Galles où
j'avais entendu plein de nouveaux groupes. J'étais en fac de
cinéma et je découvrais Jarmusch, des auteurs comme
Fante
Tout ça se mélangeait dans ma tête.
Tous en même temps, nous avons été entraînés
par ces hasards, cette effervescence. Nous sommes devenus boulimiques
de rêves.
A quel moment avez-vous senti que
vous avanciez dans le bon sens ?
Je me souviens tenir l'album One Foot in the Grave de Beck
et me dire : " Putain, ça existe, nous en sommes pas seuls
! " C'était vraiment rassurant. J'ai alors cherché
des filiations et j'ai trouvé d'autres artistes-artisans, qui
fabriquaient des trucs eux-mêmes, en eux-mêmes : Daniel
Johnston, Lou Barlow
Et puis je tombais au même moment
sur l'art brut, sur la Nouvelle Vague : ce côté débrouille,
sans fard, m'a immédiatement séduit, je voulais en faire
partie - même si j'en ai vite vu parfois les limites et le snobisme.
Il y a aussi eu un événement fondamental dans la vie
du groupe : le jour où Eric, notre batteur, a reçu un
4-pistes pour Noël. Au lieu de mettre juste un micro au milieu,
on pouvait enregistrer séparément puis équilibrer
les instruments. Ce jour-là, il s'est vraiment passé
un truc. On s'est mis à rajouter du glockenspiel, du mélodica,
à jouer de la basse avec un archet de violon et pour la première
fois, on tenait un enregistrement de Dionysos qui nous plaisait. Notre
seule maquette jusque-là avait été enregistrée
dans un studio de Montpellier, chez un affreux qui ressemblait à
un mélange de groupe Toto et de Laurent Fignon (rires)
Il nous avait fait un son variété-heavy-métal.
A partir de là, nous avons commencé à tout faire
nous-mêmes : à fabriquer nos effets sonores avec de vieux
téléphones, à bricoler nos clips en super-8
Quand as-tu commencé à
écrire ?
J'écrivais des nouvelles bien avant les chansons. Même
si je ne suis pas très grand, j'ai eu des problèmes
de croissance et j'ai du arrêter le sport : les Pixies ont alors
remplacé le tennis, les filles, le foot
C'est à
ce moment-là que j'ai commencé à remplir des
petits carnets d'observations, d'idées
J'écrivais,
sans arrêt, sans me poser la question de savoir si c'était
pour un roman ou une chanson, en anglais ou en français. J'ai
retrouvé ces carnets : c'est d'un romantisme ado ridicule.
Mais à l'époque, ça me faisait du bien, j'avais
besoin d'un truc qui me fasse rêver.
Vous sentiez-vous à l'étroit
à Valence ?
Il n'y a jamais au de plaisir à être marginal : on l'était
malgré nous, de par ce que nous écoutions ou lisions.
On n'avait pas les mêmes rêves
Mon problème,
ce n'était pas tant Valence que la discipline à l'école,
où je ne tenais pas en place. Une vengeance sur une prof d'anglais
m'a même valu le conseil de discipline en 5è
Je
n'ai commencé à me régaler en classe qu'en seconde,
grâce aux cours de français de M. Gaillard. J'ai conservé
ça, ce mélange violent de passions de et rejets. Et
quand je suis passionné, je veux absolument faire partager
ça. J'étais frénétique : il était
écrit que je deviendrais musicien, écrivain, réalisateur
Mes parents ne comprenaient pas où je voulais en venir et ils
flippaient. Et petit à petit, ils ont commencé à
s'approprier l'univers
Aujourd'hui, on s'échange les
bouquins de Fante, j'achète des disques de Johnny Cash ou Nick
Cave à mon père, il s'est remis à la peinture,
ma mère à l'écriture
Tu as toujours été
aussi habité ?
Avant la musique, je vivais les mêmes sensations fortes en jouant
au foot ou en tombant amoureux d'une fille dans la cour de l'école.
Au tennis, j'étais trop émotif, je piquais des crises
de nerfs quand on me volait un point. Par protection, je me suis très
tôt réfugié dans le rêve éveillé
C'est même devenu un système de défense, presque
mécanique. J'ai toujours été inadapté,
c'est pour ça que le groupe compte tant : personne n'a essayé
de me formater
Ce groupe, c'est une manière de continuer,
sans me faire engueuler, d'être turbulent - que ce soit donner
des concerts, escalader des grues la nuit ou faire du saut à
l'élastique. Ce n'est pas un truc qui m'est tombé dessus
à 18 ans, comme une crise d'acné. Aujourd'hui encore,
je suis à fond, sur tout : ce que je suis sur scène,
je le suis en privé. Quand je pars en vacances, c'est avec
mon skate et ma planche de surf, pas une chaise longue. J'ai besoin
de me prendre des claques, de décharges électriques.
C'est une addiction
Dans ton livre, le thème
de l'enfance, de l'innocence, est très présent. Peut-on
être nostalgique si jeune ?
Beaucoup d'enfants sont cons, il n'y a pas de nostalgie, d'idéalisation
de l'enfance. Mais j'aime me souvenir de cette liberté brute
- à la fois drôle et cruelle - que l'on ressentait avant
d'être marqués socialement. Je regarde les gens dans
la rue et je me dis : " Qu'est-ce qui s'est passé ? A
quel moment a-t-elle décidé de mettre des chaussures
de vieille ? " Je cherche à protéger la magie,
à fonctionner avec du spontané, de l'instinct. Ce n'est
jamais régressif : je ne vais pas regarder Casimir toute la
journée. Quand je chante sur Goldorak, c'est un Goldorak érotique
qui, à la fin, se fait écraser par une voiture. Je ne
peux pas être nostalgique de mon enfance : on s'est trop moqué
de moi en raison de ma taille et de mes cheveux roux.
Tu souffres toujours de la discipline
?
La discipline, c'est ce que j'essaie de combattre en jouant dans un
groupe : protéger ma bulle, belle et accueillante. J'ai toujours
haï, dans la discipline, cette interdiction du ludique, du droit
à la différence. Je déteste les regards désapprobateurs
qu'on me jette quand je me balade en skate. Je me souviens m'être
engueulé avec un entraîneur, au foot, qui nous interdisait
de dribbler : ces atteintes me révoltent, parfois de manière
caricaturale. C'est pour ça qu'il y a tant de dérision
chez Dionysos : je suis tellement excessif que je suis ridicule.
Par JD Beauvallet
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