" Rester sur
le fil du rasoir "
Fans d'Iggy Pop,
les Dionysos affichent ouvertement leur parti pris rock avec un
live qui restitue les échos d'une tournée sur les
chapeaux de roue.
En onze ans, le groupe
bricolo de Valence est devenu l'une de nos plus sûres valeurs
nationales. La dernière tournée qui a écumé
l'Hexagone, de l'Olympia à tous les gros festivals, en est
la preuve évidente. D'autant que le groupe est port par une
excellente réputation scénique et que Mathias, chanteur
et figure de proue, constitue désormais l'un de nos meilleurs
performers, avec son bagout communicatif, son jeu de scène
impeccablement athlétique, et des hauts faits qui auraient
de quoi rendre jaloux Didier Wampas : sauts en tout genre, traversées
de salles à bout de bras, escalades de balcons
et chutes
plus ou moins graves. Moins expérimentaux et délirants
qu'auparavant, les Dionysos ont affirmé une option furieusement
rock dont témoigne le DVD (tourné à la Laiterie
de Strasbourg) et le live électrique, constitué des
meilleurs moments enregistrés tout au long de la tournée.
Mais, tout comme ils ne pouvaient résister à l'envie
de clore leurs spectacles par des rappels souvent intimistes - quitte
à rompre la frénésie ambiante - ils s'étaient
offert au milieu de ces ébats une mini-tournée acoustique
et la restituent par un second live qui sort parallèlement
au premier. Comme un double bilan en attendant de nouvelles aventures
Iggy Pop en vrai
Rock&Folk: Cette tournée a fait le plein partout :
surfez-vous sur une notoriété grandissante ?
Mathias : Le rapport au public a changé : beaucoup
ne viennent plus nous voir par curiosité, ou seulement pour
aller à un concert de rock, ils se déplacent en connaissance
de cause. On a donc l'impression qu'ils se sont appropriés
notre univers, ce qui permet d'aller plus loin en concert dans l'improvisation
ou l'événementiel, même si on aime toujours
aller chercher les gens qui ne nous connaissent pas. On sent, selon
les réactions, si on se situe davantage dans la découverte
ou la confirmation. Cette notoriété pourrait engendrer
un pilotage automatique car le public est plus porteur et on bénéficie
d'un acquis, mais on la conçoit comme un piège dont
il faut se méfier pour continuer à faire des choses
excitantes : il ne s'agit pas de bouder son plaisir au moment de
monter sur scène et qu'on sent une tension parce qu'on est
attendu mais, au lieu de ralentir, il faut profiter de cette adrénaline
pour aller encore plus loin.
R&F : Votre public
évolue-t-il ?
Mathias : On a toujours une minorité de fans hardcore
de la première heure qui n'hésitent pas à nous
suivre sur une dizaine de concerts, ceux qui nous connaissent depuis
quelques années et puis tous ceux qui nous ont découvert
avec le dernier album, mais il est très difficile de les
distinguer les uns des autres. On accueille vraiment de tout. Quand
on discute après les concerts, on s'aperçoit que certains
sont pile dans notre culture musicale, de Tom Waits à Björk
en passant par Leonard Cohen ou les Beastie Boys, mais d'autres
écoutent principalement de la chanson française ou
de la musique électronique. De la même manière,
on s'adresse aussi bien à des étudiants qu'à
de jeunes lycéens de quinze ans.
R&F : Pourquoi
ne pas avoir enregistré un seul concert ?
Mathias : Entre le début et la fin d'une tournée,
les morceau changent. On a des bases et des repères, car
on n'est pas un groupe de free-jazz, mais on évolue dans
l'interprétation et dans l'intention. Chaque jour, des tendances
s'affirment. On voulait enregistrer différents concerts pour
prendre la température d'une évolution. On a capté
les huit concerts acoustiques et huit des concerts électriques,
plutôt vers la fin de la tournée, juste avant les festivals.
D'une prise à l'autre, on peut se retrouver avec des changements
de détails ou des versions radicalement différentes.
Ces modifications des morceaux nous ont toujours excités
: des fois elles sont conscientes et on les répète,
des fois tout bouge petit à petit su scène sans qu'on
l'ait prémédité.
R&F : Vous avez
constitué l'attraction de bien des festivals : est-ce plus
excitant qu'un simple concert ?
Mathias : Dans les festivals, la limitation dans le temps peut
être frustrante, mais elle est compensée par une grosse
décharge d'adrénaline car il y a énormément
de monde. De plus, on partage l'affiche avec des artistes qui nous
impressionnent, comme quand on se retrouve à ouvrir pour
Iggy Pop ou Cure. Il y a également un côté boulimique
: il faut donc savoir s'arrêter, laisser reposer, et redescendre
vers des concerts plus intime car ton métabolisme s'habitue
à un certain rythme.
R&F : Le meilleur
souvenir de festival ?
Mathias : Notre concert avec Iggy Pop au Théâtre
antique de Vienne. L'acoustique est fabuleuse, on a l'impression
d'avoir les gens dans la gueule à cause de la pente des gradins,
on rencontre une qualité d'écoute très forte,
on peut jouer sur des détails, et pas seulement sur l'énergie.
Et puis se retrouver avec Iggy Pop ! Rien que d'arriver et de voir
son nom et le nôtre écrits côte à côte
sur la porte des loges
Il est venu nous voir à la fin
du concert : " Les gars, vous m'avez mis la pression ! "
On était super impressionnés, c'était Iggy
Pop en vrai, et ça fait bizarre qu'il nous ait vus. Heureusement
que moi je ne l'avais pas aperçu quand il est monté
sur un bord de scène pour la fin du concert, j'aurais été
complètement destabilisé
Alors il est venu me
voir et il m'a dit : " Toi, François Truffaut with
a rock and roll band ! " Et il m'a dédicacé
un exemplaire du premier album des Stooges. J'étais ému,
on a pris une photo avec lui, j'avais l'impression d'être
en dehors du temps parce qu'il fait parti de ceux qui m'ont passionné
et donné envie de jouer. Je l'ai découvert à
dix-huit ans, aux débuts du groupe, il reste parmi nos influences
fortes, surtout pour son époque Stooges
Mais j'aime
tout sur lui : " Lust For Life ", " American
Caesar ", la musique d' " Arizona Dream ",
personnage, le côté crooner
L'idée qu'il
ait vu notre concert et qu'il ait plutôt apprécié
était très émouvante. Son show a donc pris
une dimension particulière à mes yeux, d'autant que
je ne l'avais jamais vu sur scène. Je me suis changé
à l'arrache pour ne rien rater. Je transpirai encore, je
n'avais pas ôté mes chaussures, et j'ai basculé
instantanément dans la peau d'un spectateur. J'avais peur
d'être déçu par rapport à la légende,
amis je me suis régalé, j'ai été bluffé.
Pas un film chiadé
mais un document caméra au poing
R&F : Etes-vous sensible à ce retour rock à travers
toute la nouvelle vague de groupes ?
Mathias : J'ai beaucoup aimé les White Stripes en concert,
j'ai le disque des Strokes, celui des Hives
Ce revival est
plutôt frais, agréable, et je trouve les White Stripes
plus originaux et variés, alors que les Strokes font toujours
la même chanson. On retrouve leurs influences, on sent de
qui ils s'inspirent, mais peu importe, je ressens un vrai plaisir
à l'écoute. J'ai un problème avec les films,
les livres ou les disques, dès que je sens qu'ils sont intellectualisés
: quand el cérébral passe avant la matière
, le résultat commence à m'énerver. Ça
ne veut pas dire que je n'apprécie que le punk rock : j'aime
l'idée de mise en esthétique du son, j'aime que les
gens cherchent, sinon je me contenterais d'écouter du punk
rock toute la journée. Mais il me faut sentir de la matière
brute, instinctive, il me faut rester sur le fil du rasoir. Et c'est
un positionnement, un désir de danger, qui se retrouve aussi
bien dans le texte et la musique que dans la façon d'aborder
la scène.
R&F : Pourquoi
ne pas avoir sorti un double album, comme vous l'envisagiez l'an
dernier ?
Mathias : On a changé d'avis quand on s'est rendu compte
du prix auquel serait vendu le double. Et concevoir deux disques
distincts nous ouvrait davantage de possibilités graphiques
et créatives. On gagnait une plus grande liberté en
travaillant sur deux objets différents qui entretiennent
pourtant entre eux de multiples liens, puisqu'ils ont été
conçus à la même époque et qu'ils contiennent
dix titres communs. Leur intérêt vient de leur côté
document pris sur le vif : on est déjà dans cet esprit-là
quand on enregistre en studio, mais cette tendance est exacerbée
par les conditions du live. On a tenu à conserver cette dimension
avec le DVD : pas un film chiadé, mais un document filmé
caméra au point.
R&F : Pourquoi
la sélection et le mixage vous ont-ils demandé plus
de six mois ?
Mathias : Nous n'avions jamais enregistré de concerts,
nous avons donc vécu un véritable rite de passage
avec ces écoutes méticuleuses. Et la perspective était
différente des enregistrements studio : un album normal est
tourné vers le futur, là nous avons vécu un
retour en arrière, avec l'impression de nous transformer
en spéléologues. On en ressort avec des tas d'envies
et d'idées, mais une pause de quelques mois permettra de
laisser reposer pour pouvoir revenir avec une fraîcheur physique
et émotionnelle.
Recueilli par H.M.