Rock Sound 100% Rock Français - n°7 - Août-septembre 2003


DIONYSOS FAST AND FURIOUS


St Brieux, le 6 juin 2003. Le festival Art Rock fête ses vingt ans d'existence. Cinq cents projets artistiques ont ainsi défilé dans la préfecture des Côte d'Armor depuis 1983, parmi lesquels Moby, Zebda, Public Enemy, John Cale, Royal De Luxe, La Tordue… Quoi de mieux pour célébrer cet hétéroclisme sonore que d'inviter Dionysos, montagne russe du rock français.

Dionysos est un phénomène. Le succès que le groupe de Valence a rencontré avec son dernier album " Western sous la neige " ne peut que faire chaud au cœur. L'histoire de Dionysos est vraie, faite de durs labeurs, de milliers de kilomètres de bitume engloutis, de kilos de sueur déversés sur les scènes de l'Hexagone, de doses de bonheur distribuées à la ronde et surtout d'une soif constante de risques. Dionysos aime se mettre sur la brèche et ne correspond en cela à aucun des nouveaux groupes de rock français sans saveur que l'on essaie de nous fourguer. Le quintet a compris que l'on n'était pas porté par le courant lorsqu'on restait sagement au bord de l'eau. La force de Dionysos c'est d'avoir une âme, de concevoir une musique aussi humble et riche que peuvent l'être ses membres. Dionysos est comme un laboratoire organique. Son terrain de jeu est tel que même les employés du cadastre auraient du mal à en délimiter les frontières exactes. Dionysos aime déboussoler et être là où on ne l'attend pas. Pourtant, il n'et jamais chiant, ni prétentieux. Il est facile de se perdre dans une expérimentation à tout va. Dionysos, malgré son aspect bidouilleur, conserve une base pop, un sens de la mélodie délurée investi par les frasques d'un Tim Burton, les pépites de rêves de contes pour enfants, les excentricités des Pixies et d'un Beck. Le folk-rock de Dionysos est gorgé de soul, de rushes d'arénaline, et bousculé par des rythmiques dansantes dans une insouciance turbulente. La présence du groupe au festival Art Rock sur la même scène que The Kills et Beth Gibbons était l'occasion d'essayer d'en saisir toutes les nuances.

SAUT A L'ELASTIQUE
En quoi est-ce différent pour vous de jouer en festival par rapport à vos tournées ?

Mathias (chant) : C'est comme si tu me demandes ce qui était le plus difficile entre conduire une formule 1 et de descendre un col hors catégorie en tricycle. Tu ne pilotes pas de la même manière. Les sensations sont très différentes mais au niveau de l'intensité, c'est la même chose. Il n'y en a pas un plus fun que l'autre, que tu joue devant 400 personnes à Vichy ou aux Vieilles Charrues avec 20 000 personnes. Tu as aussi peur dans les deux cas. Dans un festival, ce qui est plaisant ce sont les à côtés. Tu peux profiter des concerts des groupes qui jouent après toi. L'année dernière, on a eu la chance de jouer avec Iggy Pop et The Cure.

Ce soir, vous partagez l'affiche avec The Kills et Beth Gibbons. Vous vous sentez à l'aise au sein d'affiches aussi variées ?
Mathias :
Nous sommes fans des deux. En festival, tu as l'occasion de jouer avec des groupes qui sont très différents du tien et parfois, c'est vrai que c'est un peu le saut à l'élastique. On se fait des compiles avec des morceaux que l'on aime bien pour les changements de backline. Cela permet d'installer une ambiance. En tournée, quand on peut imposer des gens en première partie, on le fait. Ce fut le cas avec Cyrz, un copain seul avec sa guitare acoustique, ou encore Tara King Th, qui sont un groupe de trip hop sur lequel Dominique Paturel, 71 ans, la voix de Capitaine Flamme, JR, Jonathan Heart raconte des histoires.

Que mettez-vous sur vos compilations ?
Mathias : On met souvent des titres calmes. Lee Hazlewood, Johnny Cash, Serge Gainsbourg, Smog, Catpower, Palace Brothers, Hank Williams… En revanche, on déboule sur scène sur un morceau de surf music hyper violent, presque punk-rock des Daytonas. On aime l'idée qu'il y ait des morceaux calmes puis que le concert commence tout en énergie.

Y a-t-il une préparation avant de monter sur scène ?
Mathias : Un rituel serait plus le terme exact. On a chacun ses tics.
Eric (batteur) : En retirant nos habits de tous les jours pour mettre nos habits de scène, on se met en condition. Deux, trois heures à l'avance, on commence à cogiter.
Mathias : Le silence s'installe progressivement entre nous. Après le repas, les paroles diminuent et pourtant, on est tous bavards. On commence à tourner en rond.
Eric : On s'échauffe tous. Mathias sa voix, moi les bras. On a tous des habitudes de concentration.

Vous tenez-vous à une certaine rigueur en tournée ? Vos concerts sont hautement énergiques.
Mathias : Quand il se passe quelque chose de fort émotionnellement, tu n'as pas envie ensuite de rentrer à l'hôtel. prends ce soir par exemple avec Beth Gibbons et les Kills. On a clairement pas envie de se coucher. Ce n'est pas évident à gérer quand le lendemain, on doit se lever tôt. Mais c'est difficile de monter en intensité pour redescendre d'un coup. Parfois, quand tu fais 10 concerts en 11 jours, là tu n'arrives plus à savourer si tu ne te reposes pas un minimum.
Eric : La musique, c'est un ensemble de choses. Ce n'est pas juste les deux heures où tu es sur scène. C'est aussi ce qu'il se passe avant et après les concerts. C'est une histoire de rencontre avec des gens. C'est important d'aller discuter avec les gens des assos, avec le public. A l'époque, quand on allait voir Sloy en concert, on était super contents quand on arrivait à avoir un bout de baguette ou quand on pouvait échanger quelques mots avec eux.

Vous avez longtemps été en position de fans ?
Eric : On l'est encore. On n'a pas pu s'empêcher de se faire prendre en photo avec Iggy Pop.
Mathias : Rien que de voir le nom de Dionysos écrit sur notre loge à côté de celle d'Iggy Pop était un trip de fan. Pour Beck, c'était pareil. Ses premiers disques ont vraiment compté pour nous.

TOUR DE FORCE
Quels autres groupes ont été des révélations pour vous sur scène ?

Mathias : Dernièrement, j'ai pris une claque avec Chokebore, Catpower, Venus, 16 Horsepower, Blonde Redhead, Dominique A. Les Wampas restent une valeur sure.
Eric : Noir Désir à nos débuts lors de la tournée " Tostaky " ont compté pour nous. On est vraiment heureux de participer à leur festival le 20 septembre prochain.
Mathias : Ce concert de Noir Désir a été le genre de concert où tu sens qu'il peut se passer n'importe quoi. Ce n'était pas juste une représentation de Noir Désir. Ils dégageaient une telle tension qu'on avait envie de monter sur scène. Il y a plein de bons concerts avec d'excellents musiciens, mais cette sensation d'être sur le fil du rasoir, tu la ressens rarement. Cette semaine, je l'ai retrouvé avec Catpower et Nick Cave & The Bad Seeds. C'est comme quand tu regardes un match de tennis ou de foot et que cela te donne envie d'aller sur le cours et de taper comme un taré dans une balle ou un ballon. J'ai le même rapport avec le cinéma, la littérature, la BD ou même avec des gens que l'on rencontre. On a joué à Fribourg pour un projet pédagogique monté par le frère du footballeur Jocelyn Gourvennec (Bastia) qui est prof de français. Ce fut intense.
Eric : Il a impliqué son lycée dans Dionysos. Ceux qui faisaient du dessin ou de l'art plastique ont crée des tableaux par rapport à nos textes et d'autres en cours de français ont fait des poèmes sur le thème de " Quand j'étais petit… " L'école de musique a fait des reprises de nos morceaux et leur groupe a fait notre première partie.

La tournée acoustique a-t-elle changé votre conception du live ?
Mathias : Elle ne l'a pas changé mais a contribué à la faire avancer. La tournée acoustique ne marchait que sur l'écoute. Les gens étaient assis et nous ont jouait des versions de nos morceaux radicalement différentes de celles du disque. Les gens avaient peu de repères et nous aussi. L'écoute était primordiale. On jouait deux heures en mettant des courts métrages, des extraits de nos films cultes au milieu. C'était casse-gueule et on a compris énormément de choses. Quand on est revenu à l'électrique, ce fut un plaisir d'entendre à nouveau la batterie qui claque fort, mais j'ai l'impression que depuis, nos concerts électriques sont encore plus contrastés qu'avant. On joue mieux avec les nuances. Le spectre des ambiances est encore large.

Vous prévoyez la sortie d'un album live…
Mathias : On va sortir un double live en novembre avec une partie électrique et l'autre acoustique, ainsi qu'un DVD filmé à Strasbourg. Le disque va s'appeler " Whatever The Weather ".

Cette année, il s'est passé beaucoup de choses positives pour Dionysos. Vous les percevez comme une récompense après toutes ces années ?
Mathias : On n'a pas galéré. On a fait des petits trucs comme tous les groupes qui commencent. On voit cela comme la continuité d'un apprentissage. On rigole parfois quand on pense à des concerts d'il y a quelques années qui nous paraissaient énormes. On regarde les vidéos au caméscope où aux premiers rangs tu as quelques mecs qui sautent et derrière c'est le calme plat alors que dans nos esprits c'était la folie furieuse. Il y a clairement plus d'effervescence maintenant. Pour moi, il n'y a pas deux périodes : celle indé où on galérait et maintenant. On fait la même chose en continuant d'évoluer dans notre processus artistique. Le fait qu'il y ait plus de gens et que l'on avance dans de meilleures conditions ne nous a pas calmés. Au contraire. On a envie de faire des choses encore plus personnelles.
Eric : Au cours des années, on a fait de belles rencontres dans notre équipe technique. C'est une famille qui grossit.
Mathias : C'est ce qui nous permet de durer. Tu peux faire des coups d'éclat un soir mais si personne ne s'occupe de toi, tu craques. Sur la route, Dionysos, c'est dix personnes qui sont aussi importantes que les musiciens. A 22, 23 ans, c'était génial de partir en mini camion les guitares sur les genoux en faisant gaffe dans les freinages de ne pas se prendre les amplis dans la gueule. Si on arrive aujourd'hui à jouer avec la même intensité sur énormément de dates, c'est parce que le public nous le permet. On a la chance de monter sur scène en ne se souciant pas de la technique. C'est un luxe qui n'a pas de prix.

Cela arrive-t-il tout de même que rien ne se passe comme prévu ?
Mathias : Bien sûr. C'est bien parfois que tout parte en catastrophe et de voir que tu arrives quand même à faire un bon concert. Le plus mauvais souvenir que j'ai de cette tournée c'est lors d'un gala en région parisienne quand des mecs de la sécurité se sont mis à taper sur les premiers rangs. Même pour aller pisser, tu avais peur qu'ils te lâchent les chiens dessus. Heureusement que notre équipe technique était là pour les calmer, sinon ça aurait pu mal tourner.

SHOOT EM UP
21 heures. Après le set des Kills, duo rock'n'roll récent favori de Mathias and co (" cela nous donne envie de réécouter les Stooges et les Cramps "), le staff de Dionysos installe le décor, les fameuses bougies en forme de fleurs tandis que le groupe s'éclipse dans les loges pour enfiler ses habits de scène. Un quart heure plus tard, le quintet déboule, costard noir et chemise rouge, à l'exception de Babeth qui a opté pour la robe noire. A peine un " Vous êtes prêts ? " lancé par Mathias qu'un rush d'adrénaline envahit subitement le chapiteau de la place Poulain Corbian. Emporté par la Gretsch de Mike et la frappe d'Eric, le groupe s'élance dans une version tonitruante de " I Love You ". Mathias, bondissant de part et autre de la scène, en profite pour surfer sur un des moniteurs de retour. On a envie de lui demander quelle potion magique il ingurgite pour être chaque soir une telle boule d'énergie. En deux minutes, le groupe installe son ambiance décalée. Ce qui frappe à chaque concert de Dionysos, c'est son aspect si rock'n'roll, voire garage, qui contraste avec ses albums. Mathias, casse-cou, est partout à la fois et électrise la salle. Véritable chef d'orchestre, le public lui mange dans la main et se prête à toutes ses facéties. A la fois acteur, cascadeur, rock'n'roll machine et conteur d'histoires, en fils spirituel de Iggy Pop, Jon Spencer et Didier Wampas, le chanteur offre un show comme peu de frontmen savent faire en France. Dionysos enchaîne les tubes en alternant les instruments (banjo, piano, harmonica, theremin, contrebasse, violoncelle). Il se passe toujours quelque chose avec eux, que ce soit musicalement dans des versions plus ou moins remaniées de ses titres (" McEnroe's Poetry ", " Anorak ", " Longboard Blues ", " Surfin Frog ", " Don Diego 2000 " et bien sûr " Song For Jedi ") ou du côté des clowneries et roulades de Mathias qui finira par se lancer dans le public pour nager sur les trois milles personnes présentes ce soir-là. C'est avec la sensation d'avoir vécu quelque chose d'unique et bien plus qu'une simple prestation de Dionysos quitte le chapiteau. Il est 23 heures et pour le groupe, la soirée ne fait que commencer. Le lendemain, le rendez-vous est pris en Normandie où la troupe jouera des coudes avec les Wampas. Encore un coup de boule prometteur en perspective à un rock français bien intentionné et sclérosé.

Par Olivier Portnoi