DIONYSOS FAST AND
FURIOUS
St Brieux, le 6 juin 2003. Le festival Art Rock fête ses
vingt ans d'existence. Cinq cents projets artistiques ont ainsi défilé
dans la préfecture des Côte d'Armor depuis 1983, parmi
lesquels Moby, Zebda, Public Enemy, John Cale, Royal De Luxe, La Tordue
Quoi de mieux pour célébrer cet hétéroclisme
sonore que d'inviter Dionysos, montagne russe du rock français.
Dionysos est un phénomène.
Le succès que le groupe de Valence a rencontré avec
son dernier album " Western sous la neige " ne peut que
faire chaud au cur. L'histoire de Dionysos est vraie, faite
de durs labeurs, de milliers de kilomètres de bitume engloutis,
de kilos de sueur déversés sur les scènes de
l'Hexagone, de doses de bonheur distribuées à la ronde
et surtout d'une soif constante de risques. Dionysos aime se mettre
sur la brèche et ne correspond en cela à aucun des nouveaux
groupes de rock français sans saveur que l'on essaie de nous
fourguer. Le quintet a compris que l'on n'était pas porté
par le courant lorsqu'on restait sagement au bord de l'eau. La force
de Dionysos c'est d'avoir une âme, de concevoir une musique
aussi humble et riche que peuvent l'être ses membres. Dionysos
est comme un laboratoire organique. Son terrain de jeu est tel que
même les employés du cadastre auraient du mal à
en délimiter les frontières exactes. Dionysos aime déboussoler
et être là où on ne l'attend pas. Pourtant, il
n'et jamais chiant, ni prétentieux. Il est facile de se perdre
dans une expérimentation à tout va. Dionysos, malgré
son aspect bidouilleur, conserve une base pop, un sens de la mélodie
délurée investi par les frasques d'un Tim Burton, les
pépites de rêves de contes pour enfants, les excentricités
des Pixies et d'un Beck. Le folk-rock de Dionysos est gorgé
de soul, de rushes d'arénaline, et bousculé par des
rythmiques dansantes dans une insouciance turbulente. La présence
du groupe au festival Art Rock sur la même scène que
The Kills et Beth Gibbons était l'occasion d'essayer d'en saisir
toutes les nuances.
SAUT A L'ELASTIQUE
En quoi est-ce différent pour vous de jouer en festival
par rapport à vos tournées ?
Mathias (chant) : C'est comme si tu me demandes ce qui était
le plus difficile entre conduire une formule 1 et de descendre un
col hors catégorie en tricycle. Tu ne pilotes pas de la même
manière. Les sensations sont très différentes
mais au niveau de l'intensité, c'est la même chose. Il
n'y en a pas un plus fun que l'autre, que tu joue devant 400 personnes
à Vichy ou aux Vieilles Charrues avec 20 000 personnes. Tu
as aussi peur dans les deux cas. Dans un festival, ce qui est plaisant
ce sont les à côtés. Tu peux profiter des concerts
des groupes qui jouent après toi. L'année dernière,
on a eu la chance de jouer avec Iggy Pop et The Cure.
Ce soir, vous partagez l'affiche
avec The Kills et Beth Gibbons. Vous vous sentez à l'aise au
sein d'affiches aussi variées ?
Mathias : Nous sommes fans des deux. En festival, tu as l'occasion
de jouer avec des groupes qui sont très différents du
tien et parfois, c'est vrai que c'est un peu le saut à l'élastique.
On se fait des compiles avec des morceaux que l'on aime bien pour
les changements de backline. Cela permet d'installer une ambiance.
En tournée, quand on peut imposer des gens en première
partie, on le fait. Ce fut le cas avec Cyrz, un copain seul avec sa
guitare acoustique, ou encore Tara King Th, qui sont un groupe de
trip hop sur lequel Dominique Paturel, 71 ans, la voix de Capitaine
Flamme, JR, Jonathan Heart raconte des histoires.
Que mettez-vous sur vos compilations
?
Mathias : On met souvent des titres calmes. Lee Hazlewood,
Johnny Cash, Serge Gainsbourg, Smog, Catpower, Palace Brothers, Hank
Williams
En revanche, on déboule sur scène sur
un morceau de surf music hyper violent, presque punk-rock des Daytonas.
On aime l'idée qu'il y ait des morceaux calmes puis que le
concert commence tout en énergie.
Y a-t-il une préparation
avant de monter sur scène ?
Mathias : Un rituel serait plus le terme exact. On a chacun
ses tics.
Eric (batteur) : En retirant nos habits de tous les jours pour
mettre nos habits de scène, on se met en condition. Deux, trois
heures à l'avance, on commence à cogiter.
Mathias : Le silence s'installe progressivement entre nous.
Après le repas, les paroles diminuent et pourtant, on est tous
bavards. On commence à tourner en rond.
Eric : On s'échauffe tous. Mathias sa voix, moi les
bras. On a tous des habitudes de concentration.
Vous tenez-vous à une
certaine rigueur en tournée ? Vos concerts sont hautement énergiques.
Mathias : Quand il se passe quelque chose de fort émotionnellement,
tu n'as pas envie ensuite de rentrer à l'hôtel. prends
ce soir par exemple avec Beth Gibbons et les Kills. On a clairement
pas envie de se coucher. Ce n'est pas évident à gérer
quand le lendemain, on doit se lever tôt. Mais c'est difficile
de monter en intensité pour redescendre d'un coup. Parfois,
quand tu fais 10 concerts en 11 jours, là tu n'arrives plus
à savourer si tu ne te reposes pas un minimum.
Eric : La musique, c'est un ensemble de choses. Ce n'est pas
juste les deux heures où tu es sur scène. C'est aussi
ce qu'il se passe avant et après les concerts. C'est une histoire
de rencontre avec des gens. C'est important d'aller discuter avec
les gens des assos, avec le public. A l'époque, quand on allait
voir Sloy en concert, on était super contents quand on arrivait
à avoir un bout de baguette ou quand on pouvait échanger
quelques mots avec eux.
Vous avez longtemps été
en position de fans ?
Eric : On l'est encore. On n'a pas pu s'empêcher de se
faire prendre en photo avec Iggy Pop.
Mathias : Rien que de voir le nom de Dionysos écrit
sur notre loge à côté de celle d'Iggy Pop était
un trip de fan. Pour Beck, c'était pareil. Ses premiers disques
ont vraiment compté pour nous.
TOUR DE FORCE
Quels autres groupes ont été des révélations
pour vous sur scène ?
Mathias : Dernièrement, j'ai pris une claque avec Chokebore,
Catpower, Venus, 16 Horsepower, Blonde Redhead, Dominique A. Les Wampas
restent une valeur sure.
Eric : Noir Désir à nos débuts lors de
la tournée " Tostaky " ont compté pour nous.
On est vraiment heureux de participer à leur festival le 20
septembre prochain.
Mathias : Ce concert de Noir Désir a été
le genre de concert où tu sens qu'il peut se passer n'importe
quoi. Ce n'était pas juste une représentation de Noir
Désir. Ils dégageaient une telle tension qu'on avait
envie de monter sur scène. Il y a plein de bons concerts avec
d'excellents musiciens, mais cette sensation d'être sur le fil
du rasoir, tu la ressens rarement. Cette semaine, je l'ai retrouvé
avec Catpower et Nick Cave & The Bad Seeds. C'est comme quand
tu regardes un match de tennis ou de foot et que cela te donne envie
d'aller sur le cours et de taper comme un taré dans une balle
ou un ballon. J'ai le même rapport avec le cinéma, la
littérature, la BD ou même avec des gens que l'on rencontre.
On a joué à Fribourg pour un projet pédagogique
monté par le frère du footballeur Jocelyn Gourvennec
(Bastia) qui est prof de français. Ce fut intense.
Eric : Il a impliqué son lycée dans Dionysos.
Ceux qui faisaient du dessin ou de l'art plastique ont crée
des tableaux par rapport à nos textes et d'autres en cours
de français ont fait des poèmes sur le thème
de " Quand j'étais petit
" L'école de
musique a fait des reprises de nos morceaux et leur groupe a fait
notre première partie.
La tournée acoustique
a-t-elle changé votre conception du live ?
Mathias : Elle ne l'a pas changé mais a contribué
à la faire avancer. La tournée acoustique ne marchait
que sur l'écoute. Les gens étaient assis et nous ont
jouait des versions de nos morceaux radicalement différentes
de celles du disque. Les gens avaient peu de repères et nous
aussi. L'écoute était primordiale. On jouait deux heures
en mettant des courts métrages, des extraits de nos films cultes
au milieu. C'était casse-gueule et on a compris énormément
de choses. Quand on est revenu à l'électrique, ce fut
un plaisir d'entendre à nouveau la batterie qui claque fort,
mais j'ai l'impression que depuis, nos concerts électriques
sont encore plus contrastés qu'avant. On joue mieux avec les
nuances. Le spectre des ambiances est encore large.
Vous prévoyez la sortie
d'un album live
Mathias : On va sortir un double live en novembre avec une
partie électrique et l'autre acoustique, ainsi qu'un DVD filmé
à Strasbourg. Le disque va s'appeler " Whatever The Weather
".
Cette année, il s'est
passé beaucoup de choses positives pour Dionysos. Vous les
percevez comme une récompense après toutes ces années
?
Mathias : On n'a pas galéré. On a fait des petits
trucs comme tous les groupes qui commencent. On voit cela comme la
continuité d'un apprentissage. On rigole parfois quand on pense
à des concerts d'il y a quelques années qui nous paraissaient
énormes. On regarde les vidéos au caméscope où
aux premiers rangs tu as quelques mecs qui sautent et derrière
c'est le calme plat alors que dans nos esprits c'était la folie
furieuse. Il y a clairement plus d'effervescence maintenant. Pour
moi, il n'y a pas deux périodes : celle indé où
on galérait et maintenant. On fait la même chose en continuant
d'évoluer dans notre processus artistique. Le fait qu'il y
ait plus de gens et que l'on avance dans de meilleures conditions
ne nous a pas calmés. Au contraire. On a envie de faire des
choses encore plus personnelles.
Eric : Au cours des années, on a fait de belles rencontres
dans notre équipe technique. C'est une famille qui grossit.
Mathias : C'est ce qui nous permet de durer. Tu peux faire
des coups d'éclat un soir mais si personne ne s'occupe de toi,
tu craques. Sur la route, Dionysos, c'est dix personnes qui sont aussi
importantes que les musiciens. A 22, 23 ans, c'était génial
de partir en mini camion les guitares sur les genoux en faisant gaffe
dans les freinages de ne pas se prendre les amplis dans la gueule.
Si on arrive aujourd'hui à jouer avec la même intensité
sur énormément de dates, c'est parce que le public nous
le permet. On a la chance de monter sur scène en ne se souciant
pas de la technique. C'est un luxe qui n'a pas de prix.
Cela arrive-t-il tout de même
que rien ne se passe comme prévu ?
Mathias : Bien sûr. C'est bien parfois que tout parte
en catastrophe et de voir que tu arrives quand même à
faire un bon concert. Le plus mauvais souvenir que j'ai de cette tournée
c'est lors d'un gala en région parisienne quand des mecs de
la sécurité se sont mis à taper sur les premiers
rangs. Même pour aller pisser, tu avais peur qu'ils te lâchent
les chiens dessus. Heureusement que notre équipe technique
était là pour les calmer, sinon ça aurait pu
mal tourner.
SHOOT EM UP
21 heures. Après le set des Kills, duo rock'n'roll récent
favori de Mathias and co (" cela nous donne envie de réécouter
les Stooges et les Cramps "), le staff de Dionysos installe
le décor, les fameuses bougies en forme de fleurs tandis que
le groupe s'éclipse dans les loges pour enfiler ses habits
de scène. Un quart heure plus tard, le quintet déboule,
costard noir et chemise rouge, à l'exception de Babeth qui
a opté pour la robe noire. A peine un " Vous êtes
prêts ? " lancé par Mathias qu'un rush d'adrénaline
envahit subitement le chapiteau de la place Poulain Corbian. Emporté
par la Gretsch de Mike et la frappe d'Eric, le groupe s'élance
dans une version tonitruante de " I Love You ". Mathias,
bondissant de part et autre de la scène, en profite pour surfer
sur un des moniteurs de retour. On a envie de lui demander quelle
potion magique il ingurgite pour être chaque soir une telle
boule d'énergie. En deux minutes, le groupe installe son ambiance
décalée. Ce qui frappe à chaque concert de Dionysos,
c'est son aspect si rock'n'roll, voire garage, qui contraste avec
ses albums. Mathias, casse-cou, est partout à la fois et électrise
la salle. Véritable chef d'orchestre, le public lui mange dans
la main et se prête à toutes ses facéties. A la
fois acteur, cascadeur, rock'n'roll machine et conteur d'histoires,
en fils spirituel de Iggy Pop, Jon Spencer et Didier Wampas, le chanteur
offre un show comme peu de frontmen savent faire en France. Dionysos
enchaîne les tubes en alternant les instruments (banjo, piano,
harmonica, theremin, contrebasse, violoncelle). Il se passe toujours
quelque chose avec eux, que ce soit musicalement dans des versions
plus ou moins remaniées de ses titres (" McEnroe's Poetry
", " Anorak ", " Longboard Blues ", "
Surfin Frog ", " Don Diego 2000 " et bien sûr
" Song For Jedi ") ou du côté des clowneries
et roulades de Mathias qui finira par se lancer dans le public pour
nager sur les trois milles personnes présentes ce soir-là.
C'est avec la sensation d'avoir vécu quelque chose d'unique
et bien plus qu'une simple prestation de Dionysos quitte le chapiteau.
Il est 23 heures et pour le groupe, la soirée ne fait que commencer.
Le lendemain, le rendez-vous est pris en Normandie où la troupe
jouera des coudes avec les Wampas. Encore un coup de boule prometteur
en perspective à un rock français bien intentionné
et sclérosé.
Par Olivier Portnoi
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