La semaine des
cinq Jedi
Dans l'élan du joli succès
de Western sous la neige et le temps d'une tournée mémorable,
c'est sur des pistes acoustiques que Dionysos a décidé
de lancer ses longboards. A toute vitesse, entre adrénaline,
karting et
theremin.
La scène est étrange,
fascinante, presque surréaliste. A l'intérieur d'une
pièce et de longboards, quatre hommes en costumes sombres font
silencieusement les cent pas. Avec eux, une jeune fille en couettes,
vêtue d'une robe de soirée noire, traverse elle aussi
l'espace, de long en large. On les croirait sortis d'un film noir
des années 50, arrachés aux ombres de Chicago pour atterrir
sous les néons crus de la loge d'un théâtre vichyssois.
Parfois, l'un d'entre eux interrompt son énigmatique ballet
pour s'asseoir et laisser échapper un soupir lourd, un sourire
mal assuré. Dans quelques minutes, Dionysos monte sur scène,
septième étape de sa tournée acoustique. La concentration
est à son comble. D'autant lus que l'après-midi n'a
pas été des plus sereines.
ATTENTION FRAGILE
Peu de temps avant la balance, le groupe a en effet appris que la
date prévue le surlendemain à Avignon était annulée
: à cause d'un malentendu entre le promoteur du concert et
le théâtre loué pour l'occasion, ce dernier vient
de se rendre compte qu'il ne peut fournir le matériel nécessaire.
Car si c'est bien d'une tournée acoustique qu'i s'agit, Dionysos
ne se contente pas de débouler sur scène uniquement
accompagné de ses guitares sèches ; un minimum technique
s'impose pour faire résonner ses titres. Qu'à cela ne
tienne, le groupe ne s'avoue pas vaincu : tout d'abord, penser au
public. Dionysos a peu joué dans le Sud, et certains vont faire
des kilomètres pour venir les voir. Les cinq envisagent toutes
le possibilités : finalement, ils sont prêts à
renoncer à leur cachet pour fournir eux-mêmes le nécessaire.
impossible de faire plus : ils auront leur réponse demain.
Déçus, ils se sentent coupés dans leur élan
: ces vacances forcées ne les enchantent pas vraiment, eux
qui s'étaient mentalement préparés à enchaîner
les dates, et surtout, à se faire plaisir. Depuis le début
de cette tournée un peu particulière, Dionysos jubile.
Une date annulée, c'est une dose de bonheur en moins.
Pourtant, cette tournée acoustique était un défi.
Dionysos a eu envie de se montrer sous un jour moins sonore, dans
de petites salles où l'on pourrait les écouter assis.
" Le but du jeu, c'était vraiment de se remettre en
question, explique Mathias, son inénarrable chanteur. Tenter
de faire passer l'énergie d'une manière différente,
avec d'autres instruments et d'autres arrangements, et de voir ce
qui allait se passer. Par cette configuration-là, on avait
envie de permettre à tout le monde d'avoir une vraie écoute.
Et on savait pas trop ce que ça allait donner ! "
Aujourd'hui, le résultat dépasse leurs espérances
: " On s'est rendu compte dès les premiers concerts
que l'écoute est très différente quand les gens
sont assis. Il y a un côté vraiment " funambulesque
" (sic) : on ne joue aucun morceau en version album, donc il
n'y a pas LE single ou les trucs de gros son, tout ce qui donne un
repère, à la fois pour toi, au niveau de l'énergie,
et pour le public. C'est hyper fragile, demande énormément
dans l'interprétation, et le groupe doit être soudé
pour que ça tienne, que ça existe vraiment. Mais c'est
super excitant, on apprend plein de choses, et je pense que ça
devrait aussi nous servir quand on va repasser en électrique.
"
En attendant, l'excitation est recouverte d'une épaisse couche
de trac. Pour le surmonter, à chacun son rituel. Mathias vocalise,
s'isole pour sculpter sa tignasse rousse avec des paquets de cire.
Comme un sportif, Rico reproduit silencieusement les mouvements qu'il
accomplira devant sa batterie. Mike, le guitariste, se concentre sur
ses premiers gestes, et Guillaume, le bassiste, sur le premier morceau.
Tous cherchent à rentrer progressivement dans l'état
d'esprit idéal pour arriver fin prêts sur scène.
En effet, la mise en condition aura duré quelques heures, du
dîner jusqu'aux dernières minutes précédant
le concert. Mais elle aura été efficace.
SONS ET LUMIERE
Dans une pénombre étudiée, le public vichyssois
commence par écouter religieusement les deux premiers titres.
Puis l'ambiance s'échauffe, à la faveur d'un Mathias
mi-comédien, mi-crooner survolté. Le clou du spectacle
a lieu quand il saute sur un ampli pour atteindre le balcon du théâtre.
Il en fera le tour cramponné à la balustrade, tout en
continuant à chanter sous l'il quelque peu inquiet de
ses camarades (Mathias s'est déjà cassé la jambe
sur scène après un saut un peu trop périlleux.)
Un concert de Dionysos frise le happening. D'habitude, il est ponctué
par trois courts-métrages montés par le groupe : des
extraits de leurs films cultes (Virgin Suicides, ED Wood, The Kid),
de matchs de foot et de penaltys marqués par les Dionysos encore
enfants.
Mais ce soir, le projecteur déclare forfait. Mathias se voit
obligé de raconter la fin du film, ce qui est peut-être
même plus drôle que les images elles-mêmes. Question
son, le résultat est singulier. Les clochettes et le theremin
(sorte d'instrument bizarre au son de soucoupe volante) sont au rendez-vous.
" Song For Jedi ", "Longboard Blues", "Surfin
Frog" jouées au violoncelle, à la contrebasse ou
au banjo prennent une couleur véritablement différente,
parfois plus dramatique. Sans jamais aucune baisse de régime
: " Certains morceaux acoustiques sont aussi intenses que
les électriques dans l'intention un peu nerveuse, un peu rock.
On prend juste un autre chemin. ", estime Babeth, menue et
presque enfantine, mais impressionnante lorsqu'il s'agit d'insuffler
une véritable énergie rock avec son violon. "
Au niveau de l'interprétation, j'ai l'impression qu'en acoustique,
on va plus loin, avoue-t-elle. Les sensations sont dix fois
plus fortes. Parfois, il m'est arrivé d'avoir une toute petite
larme à la fin d'un morceau, ce qui ne m'était jamais
arrivé en électrique où j'ai plutôt des
sensations d'euphorie. "
GARAGE DAYS REVISITED
Le concept de tournée acoustique n'empêche pas Dionysos
de faire du bruit quand il le faut. Et le public, même s'il
a du mal à rester assis, réagit idéalement à
cette nouvelle mouture. Pendant deux heures, il aura grogné,
sifflé, miaulé, chuchoté au gré des fantaisies
du groupe. Jusqu'ici, tous ces concerts " débranchés
" ont fait salle comble. Dionysos, lui aussi, se laisse surprendre.
" Le rapport au public est très différent, explique
Mathias. Il ne renvoie pas une énergie corporelle et directe
comme c'est le cas quand il saute dans tous les sens et ue ça
te donne un moteur en plus. Là, ça ne marche que sur
l'écoute, et c'est ultra-fragile. Par contre, ça permet
des choses très délicates, hyper agréables, et
qui permettent aussi énormément d'improvisation. "
La nuit sera courte : Dionysos ne s'économise pas non plus
pour ce qui est de l'après-concert. Au matin, la mauvaise nouvelle
se confirme : pas de concert à Avignon. Mais dans le van jaune
canari, l'ambiance reste sereine. Fini les débuts euphoriques
où chaque trajet était une occasion de plus de se défouler
; avec le temps, Dionysos a pris conscience de l'importance du repos,
même si celui-ci semble réduit au minimum vital. Durant
le trajet, un Tribute To Lee Hazlewood et les deniers Johnny
Cash et Nick Cave accompagnent les rêves qui pourraient surgir
au détour d'un somme. Puisque cette journée off est
l'occasion de rentrer chez lui à Valence. Dionysos nous propose
un pèlerinage sur les lieux des débuts de son histoire.
Dans le garage de Mike, où le groupe a répété
la tournée acoustique à raison de dix heures par jour,
un vieux clavier orné des premiers stickers du groupe achève
tranquillement ses jours. On retrouvera d'autres vestiges de l'enfance
de Dionysos, dans le garage des parents de Mathias. A côté
d'un mur transformé en fresque à la gloire des idoles
du tennis des années 80, ce dernier a placé l'une des
premières affiches du groupe, annonçant le premier album,
Happening Songs. Elle surmonte une photo du quintette prise
lors de le sortie de Western sous la neige.
La pensée du chemin parcouru laisse une impression vaguement
vertigineuse, comme lorsque celui qu'on a vu déchaîner
500 personnes la veille contemple, attendri, ses toutes premières
chaussures de foot. Ce garage, c'est " le point de ralliement
", là où tout a commencé. Mike se souvient
de ces nuits où il fallait surcharger la voiture avant de partir
pour un concert à l'autre bout du pays. Enfin, rapide passage
par les " Locaux Rock " mis à disposition des groupes
par la ville pour une somme modique. C'est ici que Dionysos répétait
lors des trois premières années de son existence, alors
que Babeth ne faisait pas encore partie de l'aventure. Ce n'est pas
sans émotion que les garçons retrouvent les salles de
répét' qui, à l'époque, leur paraissaient
bien plus grandes : une quinzaine de personnes, les potes, le premier
public, venaient s'y entasser tous les samedis après-midi avant
qu'on ne vienne sortir le groupe presque de force à 20 heures.
L'AMOUR DU RISQUE
Après ce voyage dans le temps, Dionysos se sent des envies
de bouger. Un peu comme s'il avait constamment besoin d'une dose d'adrénaline,
de sensations intenses pour continuer à respirer. Alors, quand
il n'y a pas de concert, on trouve autre chose : le fameux longboard,
plus souple et plus rapide qu'un skate, n'est jamais loin. Mais aujourd'hui,
c'est la kart qui a les faveurs du groupe. Après un quart d'heure
à plus de 50 kilomètres/heure les fesses au ras du sol,
tout le monde affiche une expression jubilatoire. Au point de remettre
ça après le dîner. Quand on vous disait que Dionysos
ne s'arrête jamais ! Ou alors, très très tard
dans la nuit
Au terme de ces deux jours, ce que l'on soupçonnait déjà
est largement confirmé. Dionysos nage dans le bonheur. Son
quatrième album, Western sous la neige, enregistré
par Steve " Nirvana-Pixies " Albini, a confirmé son
statut de groupe d'exception, hors normes tant pour ses performances
scéniques hautes en couleur, pour la poésie touchante
et drôle de ses textes, pour l'ingéniosité des
mélodies, que pour la singularité d'un rock ludique
et brinquebalant. Et parce que chez lui, les risques se prennent avec
gourmandise
" Rien que le fait de sentir qu'on est sur
une nouvelle voie, ça nous excite tous, assure Mathias.
C'est comme ça depuis le début du groupe. Même
quand on se perd un peu, qu'il commence à faire un peu noir
et qu'on ne sait pas trop où on va arriver, on aime bien ça.
" Dionysos est un groupe exceptionnel parce qu'il ne s'endort
presque jamais, encore moins sur ses lauriers. Et qu'humainement,
le côtoyer est une expérience mémorable tant son
euphorie est contagieuse.
Pascaline Potdevin
|